La saga Meunier – épilogue

Transmission d’entreprise :
« Si l’on n’est pas accompagné, tout peut voler en éclat »


En novembre 2022, Luc et Monique Meunier, à la tête du groupe familial corse éponyme, ont achevé de transmettre leur entreprise à leurs trois filles et leurs deux gendres. Les deux générations ont été accompagnées pendant quatre ans par le cabinet Victoire Dégez Conseil. Retour sur expérience.

Monique Meunier entourée de sa famille lors d’une petite fête organisée pour son départ, en novembre 2022. Son époux Luc est à la retraite depuis quatre ans. Photo DR

Si elle avait une machine à remonter le temps, qu’aurait changé Monique Meunier?


« Rien. Enfin si… Je m’y serais pris plus tôt ! » L’ex-dirigeante d’entreprise, à la retraite depuis le mois de novembre 2022, reprend : « J’aurais lancé la réflexion sur cette transmission il y a au moins une dizaine d’années, quand les enfants sont rentrés dans l’entreprise. Nous avions anticipé les aspects juridiques bien sûr, mais moins le côté humain. Nous avons dû le faire en quatre ans, un peu à marche forcée. »

Car en 2019, Luc et Monique Meunier, deuxième génération à la tête du groupe familial corse qui porte leur nom – sept sociétés, une centaine de salariés et près de 12 millions d’euros de chiffre d’affaires – ont entamé un processus pour le transmettre à leurs trois filles Aurélie, Adeline et Manon Meunier, ainsi qu’aux conjoints des deux premières (Maxime et Rémy). Une démarche moins simple qu’elle n’y paraissait, pour laquelle la famille Meunier a choisi de se faire accompagner par Victoire Dégez Conseil sur le volet managérial et de la gouvernance, d’autres professionnels intervenant sur les aspects liés à la gestion.

Retrouvez le détail dans le premier article consacré à la saga Meunier, « Transmission : comment le coaching a sauvé notre entreprise ».

>> Transmettre et restructurer

« Nous avons fait un gros travail sur la transmission entre les deux générations, mais aussi une restructuration globale, se remémore Victoire Dégez. C’est un sujet qui avait émergé lors du diagnostic initial : les entreprises arrivaient à une taille critique. Ce qui fonctionnait avec une structure de petite taille et un pouvoir centralisé autour d’un couple ne pouvait plus marcher pour sept entreprises et un pouvoir partagé. Donc il a fallu faire monter en compétence et former les directeurs pour les adapter aux nouveaux enjeux ainsi qu’à leur nouvelles fonctions ».

 

Et de remarquer : « Il y a eu un gros investissement du groupe sur la formation, et à tous les niveaux. C’est aussi la preuve que le capital humain est essentiel chez Meunier, c’est très parlant. »

Alors que la transmission est donc effective depuis quelques mois, le bilan du coaching qui a permis de la mettre en œuvre est unanimement positif. Aurélie Meunier, qui a pris la tête du groupe familial, témoigne ainsi : « Sans cet accompagnement, nous n’en serions pas arrivés là, c’est incontestable. Il m’a enrichie, il a enrichi tout le monde. Nous avons tous évolué. »

 

La jeune femme, pragmatique, reconnaît avoir eu besoin d’aide pour endosser ses nouvelles fonctions et s’affirmer comme dirigeante. L’un des grands chantiers de cette transmission. Une affirmation vis-à-vis des collaborateurs et autres directeurs, mais aussi vis-à-vis de l’ancienne chef de file, l’intuitive et expansive Monique, à la personnalité et aux méthodes différentes des siennes.

Aurélie Meunier a été choisie comme chef de file par le comité de direction de l’entreprise au terme d’un processus de concertation. Photo DR

>> Devenir leader

« Je savais qu’Aurélie était la bonne personne. Mais elle était influencée et freinée sur certains sujets, se souvient Monique Meunier, En l’espace de six mois, grâce à Victoire et à Florence Tillie sur le volet gestion (l’autre experte, NDLR), elle a été une révélation et une révolution. Et aujourd’hui, elle continue son affirmation ».

 

Interrogées séparément, la mère et la fille, l’ancienne et la nouvelle chef d’entreprise, témoignent aussi de leur satisfaction de se rejoindre désormais instinctivement sur de nombreuses décisions.

« Ce n’était pas évident car nous avons eu un gros clash au printemps 2020, rappelle Aurélie Meunier. Mais je pense sincèrement que ce clash a beaucoup aidé. Cette crise a été nécessaire, Victoire nous avait expliqué que c’était un passage. Aujourd’hui, la confiance est revenue, nous nous sommes rapprochées et ça fonctionne. Ma mère a confiance dans ce que je dis, ce que je fais et ce que je porte. » Monique Meunier, qui demeure actionnaire du groupe à l’instar de son époux Luc, intervient désormais pour conseiller le nouveau comité de direction lorsqu’il la sollicite. « C’est un rôle que j’apprécie, je suis passée de l’accompagnée à l’accompagnatrice », sourit la jeune retraitée, manifestement sereine.

>> Le danger de « l’effet iceberg »

Une sérénité qui tranche avec les enjeux très élevés de cette transmission familiale. « Sans accompagnement, ça aurait explosé en plein vol, le chantier était trop lourd, estime Monique Meunier avec le recul. On ne se rend pas compte de l’ampleur que ça peut prendre, c’est pharaonique. Il y a eu une vraie réflexion, je m’en félicite. Sans tout cela et sans Victoire… Elle a fait remonter des problèmes fondamentaux dont nous n’avions pas mesuré l’importance. Elle a fait changer chacun d’entre nous, de vision et de position. C’était absolument nécessaire pour que la transmission ne soit pas un échec, ou juste un demi-échec. »

 

Exploser en plein vol, le risque était bien réel, constate elle aussi Victoire Dégez. « Je crois qu’on peut voir l’entreprise comme un iceberg : sur le plan visible, il y a une transmission à effectuer, de la bonne volonté, des compétences. Mais en dessous, moins visibles, il y a aussi des non-dits et des enjeux cachés que l’on ne peut pas mesurer à l’avance. Si l’on n’est pas préparé, pas accompagné, tout peut voler en éclat à cause de cet « effet iceberg ». Dans le cas des Meunier, ils ont eu le courage de tirer le fil pour enclencher ce travail de fond qui était nécessaire. Et ils l’ont fait avec deux grandes qualités : la lucidité et l’humilité. »

>> « Que l’histoire reste belle encore longtemps »

Et maintenant ? Dans ses premiers pas, la nouvelle génération Meunier aura, sans doute, encore besoin de mettre de l’huile dans les rouages, de lisser certaines aspérités qui demeurent, de continuer à faire grandir l’esprit de groupe dans une entreprise longtemps « silotée ». Mais alors que « 80% du chemin est fait », selon Aurélie Meunier, l’horizon semble plein de promesses. Recrutements, développement, de nouveaux chantiers se dessinent au sein de la pépinière historique et de ses sociétés sœurs.

Quant à savoir si la quatrième génération fera perdurer le nom des Meunier dans le tissu économique insulaire, Aurélie Meunier, elle, ne veut pas aller trop vite en besogne. « Je ne pense pas à demain en me disant : je vais obligatoirement transmettre, la prochaine génération fera ses choix, explique-t-elle. Mon objectif aujourd’hui, c’est que les collaborateurs soient bien chez nous, que les retours de clients soient positifs dans la durée. » Et de conclure : « Mon grand père a créé l’entreprise il y a 50 ans, j’espère qu’elle sera encore là dans 50 ans. Et j’espère que certains collaborateurs que j’ai embauchés seront encore là dans 38 ans comme c’est le cas aujourd’hui. Je veux que l’histoire soit belle et reste belle encore longtemps. »

M.DG.

Focus : la transmission d’entreprises familiales  

 

Si l’entrepreneuriat familial apparaît comme un gage de stabilité, il peut aussi s’avérer particulièrement complexe à gérer à l’étape de la transmission. Une étude de la Deutsche Bank de 2006 relevait ainsi que 90% des entrepreneurs familiaux voulaient que leur entreprise et son management restent dans la famille. Pourtant, seulement 10% parvenaient à le faire jusqu’à la 4° génération. Plus récent, le Baromètre Next Generation réalisé par le cabinet Deloitte avec le FBN, l’IFA et Intuitae sur la zone « Emea » (Europe, Moyen Orient et Afrique) en 2015 pointait qu’une entreprise familiale sur trois réussissait à faire la transition entre une génération et la suivante. Selon ce même document, 80 % des futurs leaders déclaraient que leur mode de management serait différent de celui appliqué par leurs prédécesseurs, 56% envisageaient également de changer la stratégie de la société.

Retrouvez le détail dans le premier article consacré à la saga Meunier, « Transmission : comment le coaching a sauvé notre entreprise ».